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Des minéraux à flux tendu

La logistique des engrais est devenue un sujet à très haut risque alors que les commandes sont en flux tendu.

Le marché des engrais minéraux manque de visibilité, dans un contexte de crise de production céréalière, de désorganisation logistique et d’aversion au risque.

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La morosité dans le secteur agricole n’épargne pas le secteur des engrais minéraux en France. Et même si la campagne 2023-2024 a marqué un net rebond selon les estimations de livraisons présentées fin octobre par Agreste (1) (+ 7 % en azote, + 13 % en phosphore et + 59 % en potasse), la campagne 2024-2025 a démarré en demi-teinte. L’ensemble des opérateurs interrogés témoigne d’une morte-saison éclair sur les engrais azotés. « Il y a eu au mois de mai un double effet de raffermissement des prix du blé et de chute des cours des engrais azotés, analyse Alexandre Willekens, analyste marché chez Argus Media France. L’abordabilité des engrais a alors atteint son point maximum et, logiquement, de nombreux agriculteurs se sont couverts car il y avait de la rentabilité à chercher. En revanche, ce regain de demande a rapidement ramené les cours à la hausse avec un prix de la solution azotée qui s’est raffermi de 215 €/t à 260 €/t. Il y a eu ensuite une deuxième vague d’achats fin septembre avec un prix de la solution azotée qui est redescendu à 240 €/t et un raffermissement dans la foulée avec deux appels d’offres de l’Inde pour de l’urée sur les marchés internationaux. »

Le nouveau chef marché engrais de Soufflet agriculture, Louis-Marie Catala, confirme un début de campagne intense au mois de mai avec de 15 à 20 % des ventes annuelles réalisées en quinze jours. « Cela a été très massif, constate-t-il. Mais depuis un rebond des ventes fin septembre début octobre, c’est le calme plat. » « La campagne pour les engrais ternaires, qui a démarré à partir de septembre, est très calme, voire atone, déplore Pierre-Yves Tourlière, responsable développement productions végétales de Timac Agro France. Les prix restent assez fermes et nous devons faire face à des difficultés de trésorerie chez les agriculteurs. Le marché des engrais minéraux est structurellement à la baisse avec une chute de 25 % des livraisons en azote sur les dernières années, de 24 % en phosphore et de 8 % en potassium. » À court terme, la chute semble même davantage marquée sur les engrais techniques qui sont plus onéreux, ce qui peut fragiliser les acteurs les plus exposés à ces marchés. Une morosité palpable dans les allées du Grand Palais de Lille, à l’occasion des 18es Rencontres internationales de l’Afcome (association française de commercialisation et de mélange d’engrais), les 7 et 8 novembre derniers.

Un rattrapage attendu

À cette date, il restait ainsi une part très importante de la demande qui n’était pas couverte et qui ne devrait pas se manifester avant janvier selon plusieurs opérateurs du marché présents à ces journées, qui ont réuni près de 350 professionnels du secteur. « Sur la fin de campagne des engrais azotés, nous nous attendons à des prix stables et plutôt fermes avec une hausse au printemps, car il y aura un rattrapage nécessaire de la demande », anticipe Pavel Hanus, directeur général d’Agrofert (propriétaire de LAT Nitrogen). « En tant que producteurs d’engrais, il faut que nous soyons armés logistiquement pour être en mesure de livrer et d’assurer les applications dans les champs à cette courte période. Nous sommes confrontés au fait que personne ne veut plus porter le risque. Les distributeurs attendent les commandes des producteurs. Nous devons alors fermer des usines car, une fois que les stocks sont pleins, nous ne pouvons pas faire autrement. » Les opérateurs de la distribution ne cachent d’ailleurs pas cette tendance à des couvertures en « back-to-back », jugée être la seule option pour limiter les risques de volatilité des prix.

« Tout se fait à la dernière minute »

Cette stratégie de couverture par achat-revente simultané pose également des problèmes à l’importation, car les opérateurs doivent prendre des positions longues sur des volumes importants pour affréter les navires. « C’est beaucoup plus compliqué aujourd’hui de livrer des bateaux entiers d’engrais pour un ou deux clients, y compris pour les grosses coopératives, déplorait Jean-Luc Pradal en octobre, alors encore DG de Fertiberia France. Ce qui crée des situations absurdes avec des livraisons par camion. Le marché n’est plus autant couvert qu’avant. Il est à risque très fort, car tout se fait à la dernière minute. Cela crée des grosses incertitudes sur la capacité des outils industriels et logistiques à assurer leurs commandes. Je constate que la distribution se détache peu à peu de son rôle dans les engrais et elle délègue la vente de plus en plus en direct aux fabricants. Pourtant, elle devrait pouvoir faire mieux auprès des agriculteurs. Il y a un gros enjeu à rétablir un climat de confiance pour pouvoir produire des prix lissés sur l’année. »

Dans ce contexte, des fabricants prennent le parti de se rapprocher effectivement des agriculteurs. « Nous voulons créer plus de connexions, met en avant Michael Lepelley, directeur marketing de Yara France. C’est pourquoi nous avons lancé en avril notre nouveau programme de fidélité visant à récompenser les achats. Nous avons aussi la volonté d’accroître la part du big-bag en livraison directe ferme vers les agriculteurs. C’est le sens de l’histoire avec la consolidation de la distribution agricole et l’augmentation de la taille des exploitations. Nous avons ainsi une meilleure maîtrise de la qualité livrée. La tendance est à ce que l’agriculteur s’autonomise avec une envie forte de sécuriser ses achats. Il y a une professionnalisation en vue de mieux piloter les marges des grandes cultures en couplant les achats d’intrants avec des ventes de céréales à terme. Le big-bag est une réponse à cela. C’est l’avenir. Avec le digital également où nous voyons les distributeurs qui créent des places de marché. »

Une industrie sinistrée

Le marché a retrouvé un certain équilibre de prix, mais il n’en reste pas moins que les épisodes de Covid et de guerre en Ukraine ont accéléré la mise en place d’une nouvelle organisation des opérateurs. La perte de compétitivité des fabricants européens d’engrais azotés se fait encore nettement ressentir. L’Europe est de plus en plus dépendante des importations d’engrais, notamment en provenance de Russie dont les tonnages se développent mais dont la part globale diminue. Des sites industriels continuent ainsi de fermer et de tourner au ralenti. À l’image de la restructuration de l’usine de Yara de Tertre, en Belgique, annoncée mi-octobre et qui aurait des incidences directes sur l’approvisionnement français en ammonitrates de moyen dosage. « Nous nous attendons à ce que le secteur des engrais continue à se consolider en Europe, complète Pavel Hanus, d’Agrofert. Plusieurs entreprises cherchent aujourd’hui des acquéreurs. De nombreuses usines ne tourneront plus. Mais il est essentiel d’avoir une industrie locale. »

A Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), Yara envisage la transformation de son site de production d’ammonitrates en un terminal portuaire dédié aux engrais. (© R. FOURREAUX)

En France, l’industriel norvégien envisage la transformation de son site de production d’ammonitrates de Montoir-de-Bretagne. Le directeur marketing France, Michael Lepelley, se veut cependant rassurant : « Nous transformons le site en terminal portuaire dédié aux engrais. Nous restons ainsi à Montoir un acteur majeur des minéraux en France via, par exemple, des importations en provenance de nos cinq usines de NP et NPK en Europe. Nous avons toujours vocation à fournir des ammonitrates au marché français pour les mêmes volumes. Nous organiserons des flux en provenance des Pays-Bas à partir de Sluiskil, l’une des plus importantes usines d’azote d’Europe. »

À contre-courant

Dans le monde et contrairement à ce qui se passe en Europe, les capacités de production devraient cependant encore s’accroître à l’horizon 2028, d’après Hanna Yafimava Chtioui, analyste de marché pour l’association internationale des fertilisants (IFA). « Les projets sérieux sont nombreux, dans ce contexte de l’après-Covid, constate-t-elle. Les discours sur la souveraineté alimentaire portent leurs fruits et, par ailleurs, le contexte financier mondial reste plutôt favorable à l’investissement. » De son côté, l’Europe doit composer avec l’absence de ressources naturelles d’énergies fossiles, la faible présence de minerais et une réglementation de plus en plus contraignantes. Les espoirs de souveraineté restent assez aléatoires et consistent en une meilleure maîtrise stratégique de l’import, en la différenciation par les engrais décarbonés et techniques ainsi que dans le rationnement de la demande par des objectifs environnementaux.

(1) Chiffres issus de l’Unifa, appliqués d’un correctif du ministère de l’Agriculture pour les données manquantes.

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Engrais 2025

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